Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Un an à Dakar
14 août 2014

Deux allers simples pour Dakar, pour quelques mois, pour une année, pour plus ou moins...

Pourquoi ? Pour vivre mère et fille cette expérience sur les terres africaines que nous aimons déjà tant. Nous la vivrons ensemble et chacune nous l'écrirons. Nous la partagerons avec les gens d'ici et de là bas. Nous posterons textes, photos et vidéos ; nous transmettrons sur ce réseau virtuel nos impressions bien réelles. Pour que ce blog ait plus de sens, et pour ceux qui me connaissent peu, je vais lui donner vie en vous racontant brièvement pourquoi nous partons et comment ce projet est né. Déjà étudiante, loin de moi, l'idée de me prétendre sociologue et scientifique. Rappeler la place du rédacteur et sa subjectivité, son histoire étaient essentielles, et aujourd'hui encore. J'aime les « histoires de vie » ; en ethno, je m'en suis servie, alors aujourd'hui, je livre un peu de la mienne, au moins la part qui me lie à ce pays.

Comme une évidence et comme un défi, une prise de risque et la réalisation d'un rêve, j'ai décidé en mai dernier de quitter mon travail d'animatrice à la Boussole, et que nous irions nous installer toutes les deux à Dakar à la rentrée.

Pour mettre en œuvre des projets, au moins les tenter, ne plus les reporter, et surtout ne pas me réveiller un jour avec des regrets.

Pour que ma fille métissée découvre ses autres racines : que le Sénégal ne se résume pas à 3 semaines de vacances tous les 3 ans, et qu'elle éprouve ce qu'elle aime ou non de la vie là bas, qu'elle connaisse ceux qui l'aiment à Dakar, et qu'elle comprenne petit à petit cette culture, cette langue, le wolof ). Pour qu'elle puisse répondre librement quand on lui demandera, d'où viens-tu ? Quelles sont les cultures qui t'animent et font ce que tu es ?

Je suis moi-même imprégnée de ces cultures africaines et sénégalaises, je vais aller les vivre encore un peu.

Gamine, je rêvais de Diane Fossey dans « Gorilles dans la brume »; les ambiances et odeurs du Maroc à 7 ans m'ont marqué à jamais ; au lycée je me voyais bosser comme « humanitaire », idéalisation d'une réponse à l'urgence, et je voyageais en fréquentant ceux qui viennent d'ailleurs. J'ai eu envie de comprendre d'autres manières de vivre, le particulier – l'universel ; j'ai suivi des études de socio et d'ethno à Caen et Bordeaux. Des années à écouter des profs passionnants, analysant des contes mythologiques des Mandingues, aux règles de parenté des Indiens d'Amazonie, d'occupation de l'espace et du symbolisme des Kabyles ou des aborigènes d'Australie, aux échanges rituels des Argonautes du Pacifique...

En 98, j'ai passé quelques mois au Vénézuela, je m'y suis enrichie et endurcie en me confrontant à la réalité des « terrains » ethnographiques. En 2001, j'ai enfoui mes pieds pour la première fois dans les rues sablées de Dakar. Je projetais d'écrire mon mémoire sur les textes des groupes de reggae et de rap, entre poésie, culture hip-hop et griot. Cette année fût excitante, mais terrible aussi, quelques jours après le 11 septembre, en Mauritanie, ma vision de la vie bascula, la vie de celui que j'aimais se répandit dans l'océan.

Mon sujet de DEA fût finalement la Mauritanie, aujourd'hui encore très liée à cette famille Peul du Fouta. Je terminais ma 5ème année de fac et décidais de partir, comme prévu, m'installer à Dakar. J'y ai alors vécu plus de 2 ans, je m'y suis mariée, j'ai été adoptée par une grande famille de commerçants, maman moi aussi, d'une petite de cette lignée. Il y a 10 ans, nous venions nous installer à Caen. En 2005, Adja Jeanne Sangoulé est née. Son père et moi avons divorcé quelques années plus tard.

J'avais toujours imaginé que mon enfant connaîtrait ce pays et y vivrait un temps donné. Voilà. Nous y sommes : en pleine préparation de ce départ pour Dakar avec ma fille de 9 ans. Remplissant nos valises. Empilant les cartons, nous débarrassant de tout le superflu : au fond de presque tout, mais nous n'y arrivons pas, confrontées à nos surconsommations, remplissant encore un peu nos décharges invisibles, aidant notre conscience en triant, donnant, vidant enfin le « au cas où », stockant l'utile, et gardant religieusement les livres, les dessins, les petits objets, les reliques du passé.

Je ne peux omettre deux raisons qui ont influencé ma décision de partir. Même si mon travail à la Boussole m'a beaucoup appris et nourri, le manque de perspectives me poussait à désirer autre chose, et rapidement ! C'est donc sans regret que j'ai demandé une disponibilité. Et puis, il y a 3 mois je n'avais pas rencontré celui qui me donnerait envie de rester, aujourd'hui oui, de revenir...

Alors pourquoi aller vivre en Afrique avec ma fille, y monter des projets ?

Cela intrigue, surprend, questionne, fait rêver ou peur, plus rarement indiffère.

Parce que le Sénégal vibre, parce qu'il est vie, couleur, rêve, force, mouvement, danse, musique, plages, océan, concret, rêche, suave, pimenté, mystique, mouvant, urbain, brousse, rires d'enfants et regards intrigants des anciens...

Hormis toutes ces raisons poétique, culturelle, d'histoire perso, mélo, psycho-émotionnelle... il y en a d'autres, des pourquoi, des raisons, des inconnues...

Parce que oui, ce n'est pas sans risque, mais non ce n'est pas si risqué...

Ce n'est pas non plus digne de ceux qui ont traversé les océans en 3 mats, de René Caillé et son périple jusqu'à Tombouctou, ou du tour du monde de l'aventurière Ida Pfeiffer.

Pourquoi faire le trajet inverse de nombre de ceux que j'ai accueilli dans ce centre pour SDF où je travaillais. Cela les surprend, les ravit qu'une française aille ォ vivre au pays . Ils savent aussi, ceux qui viennent d'Érythrée, du Soudan, de Somalie, du Congo, du Nigéria, qu'au Sénégal, il y a la paix.

Car, non, nous ne partons pas en mission humanitaire dans un pays en guerre, pas de rapts, de kalach, de tueries, de civils bombardés comme à Gaza, car pas d'or, de pétrole, de diamant, de coltan pour nos téléphones, de multinationales surpuissantes. Et le Sénégal est assez au Sud pour ne pas être sur les couloirs des trafics d'armes ou de drogues du Sahara. Il met à l'honneur son accueil ancestral : la « Téranga », la paix, l'entente inter-religieuse, entre les confréries musulmanes, avec les catholiques. Il n'y a que la Casamance pour éveiller des inquiétudes de temps à autres.

Partir mais, à la différence de tous ces migrants africains, on peut rentrer les mains vides, quoi qu'il arrive, on aura réussi, on se sera accomplies.

Nous ne partons pas non plus vivre dans une case en brousse, sans eau ni électricité, où la famine menace ; peut-être nous y passerons quelques jours, dans des villages sans hommes, où l'on mange au mieux du mil et du lait caillé deux fois par jour.

Oui, Adja ira à l'école française, car oui, elle devra pouvoir réintégrer le système scolaire élitiste français, et oui elle mangera à sa faim, elle sera choyée par sa famille, sa grand-mère s'inquiètera de son sommeil et de sa santé, elle vivra dans une fratrie de cousins, au rythme de l'école et des fêtes, des jeux, de la plage. Et d'ici quelques mois, je devrai bien payer la sécu des expat, au cas où... car moi aussi, je suis conditionnée.

Oui, pourquoi ? Pourquoi quitter le calme et la sécurité de notre république si égalitaire et fraternelle, les forêts enchantées de Normandie, les centaines de yaourts dans les rayons des supermarchés, les routes lisses et silencieuses, les criques paradisiaques de Bretagne, les assurances et le risque 0, les prêts, les taux, les ruelles du moyen-âge, la lumière à toutes heures et partout, les promos et les prospectus envahisseurs de nos boîtes aux lettres, le désert d'enfants, les mémés qui ont perdu leur sourire, les râleurs nés, les cinémas, les apéros, les saisons citadines des parterres floraux et surtout le papillon du château, les rues vides et les plaintes des voisins, les écrans, la grippe et les gastros, la pluie, le gris, le propre, l'aseptisé, les œuvres d'art sur les ronds points, les bibliothèques et les musées, le jour des éboueurs bien à l'heure, les montagnes de jouets en plastique, la peur de certains d'être abordés, la sécu et le SAMU, l'écoulement ininterrompue de l'eau potable, les machines à tout faire... l'amour, la famille, les ami(e)s...

Pourquoi ? Aller chercher la chaleur, les rues animées, les couleurs, les jeux des enfants, les joueurs de foot aux pieds nus. Pourquoi aller se confronter à la pauvreté, aux mains tendues et aux yeux tristes des personnes handicapées sans fauteuil, des albinos, des mamans, des gamins des rues ? Avoir honte, se blinder, se détourner, empathie, désolée, impuissante, au moins leur parler, donner un peu.

Aller y chercher un travail alors qu'il y en a si peu là bas aussi, aller monter des projets pas si faciles ni rentables.

Pourquoi tenter de se fondre dans un pays, alors que celui où je suis né, l'a colonisé – et le colonise – encore? Un pays où, en tant que « blanc – toubs - toubab », nous incarnons malgré nous, une culture que parfois nous fuyons, où nous portons les relations internationales de domination, la dualité entre riches - pauvres, avec ou sans papiers, avec ou sans la liberté de se déplacer ? Où nous sommes le véhicule des images médiatisées d'un occident de centres commerciaux et séries télés ? Tenter de dépasser tout cela et juste s'intégrer, travailler, découvrir, rencontrer.

Aller manger à 10 dans le grand bol, danser, vivre dans une maison familiale où merci on oublie parfois ma pigmentation, aller à la plage toute l'année, les rires, les sourires, discuter les prix, les couchers de soleil sous les baobabs, la mode et les couturiers, les marchés.

Aller au risque de choper le palu, la fièvre jaune, et aujourd'hui ébola aux frontières. Aller au cœur des inondations, de la pollution.

Aller s'empêtrer dans la corruption, une langue et des relations que l'on ne maitrise pas, se frotter aux conducteurs sans peur. Aller lutter pour la nature, la culture, contre le plastique, pour l'art et la musique, aller créer en Afrique.

Juste parce qu'en moi, l'envie est forte de faire là bas. Sans prétention, je vais tenter de mener quelques projets malgré toutes les futures difficultés, vivre tout ça avec Adja. Je vais aller rejoindre, partager et travailler avec ces africaines, ces africains, ces européens immigrés, avec ceux qui viendront, pour quelques temps, mi étrangère – française - toubs- sénégauloise comme on dit là bas, sénégalaise de coeur.



Publicité
Publicité
Commentaires
M
Adja manque à ma classe, aux CM1 Indigo... J'espère que vous allez bien toutes les deux, et que le retour en France n'était pas trop dur. Je vous souhaite un rapide retour sur la Terranga. <br /> <br /> Maîtresse Coline
Publicité
Archives
Un an à Dakar
Publicité