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Un an à Dakar
26 août 2014

Dakar street en Dem Dikk - Bus

Dem Dikk1

dem dikk2

litt Dem Dik : Aller Retour. Le nom donné aux gros bus bleus de la ville.

Samedi 23 Août 2014. Aujourd'hui, j'avais le temps, j'ai pensé à mes économies et j'avais envie d'être avec les millions de Dakarois, de voir la ville à son rythme. J'ai pris le « Dem Dikk », au marché Castor, après avoir marché des Maristes (mon quartier «enclavé» comme on le décrit ici), et été prise en taxi- stop par deux jolies étudiantes en médecine rencontrées sur le chemin.

J'aurai pu prendre un carapide, ce petit camion multicolore emblématique du Sénégal, où une quinzaine de personnes peuvent s'entasser, dont les fenêtres, découpées dans la tôle sont recouvertes de bâches quand il pleut. La décoration des carapides n'est pas laissée au hasard, un lieu et des peintres sont dédiés à cet art et le propriétaire choisit uniquement les textes des peintures. Elles varient entre Dieu merci, en wolof, Alhamdoulillah, Merci et gloire au nom des serignes mourides (chefs religieux d'une confrérie musulmane sénégalaise), Dieu est grand, Talibé Cheikh, Bakh yaye (bonne mère)...

Prières protectrices bien ancrées en tous et pour les conducteurs rebelles, tout est volonté de Dieu, donc on peut foncer ! A l'image des carapides, nous serons immortels, pollueurs certes, mais toujours réparables, voire au paradis, Inchallah !

J'aurai aussi pu prendre le Diagndiagne, les camions blancs, bien moins décorés et un peu plus grands. Ces cars ont tous un jeune « apprenti », suspendu à leurs portes arrières, qui vole presque au gré des battements des portes, il saute et monte et descend et court à chaque arrêt en criant à répétition la destination. Il encaisse et tapote sur la porte pour faire signe au chauffeur de démarrer ou s'arrêter : les sons du carapide et de son moteur toussotant.

 

J'ai attendu un de ces gros bus bleu, sous un abri bus aux couleurs bleue et jaune bardé d'affichettes déchirées de concerts et de publicités. Oui, je me suis abritée, car enfin il pleut !

Juste derrière l'abri bus, un homme taille des noix de coco ; à côté, une jeune femme essuie son petit étal de sachets de cacahuètes, sucrées, salées, de noix de cajou, de cola, et de petits cailloux gris que mangent les femmes.

Avec moi, debout, assis, des jeunes, des plus ou moins jeunes, un rasta fou de la rue aux ongles de griffes. Des fillettes mendiantes courent aux fenêtres des bus pour une petite pièce. Je venais de les croiser, d'habitude sur le rond point, elles étaient agglutinées avec les mamans, d'autres enfants, des handicapés le long d'un bâtiment pour se protéger de la pluie.

Un papa en boubou ocre, m'a entendu demander à une dame quel bus prendre. Il m'interpelle pour que je prenne tel bus, où « Palais » s'affiche en led rouge, je sais que c'est le palais présidentiel, après le marché Sandaga, je me faufile dans le bus.

Le vendeur de ticket est enfermé dans une cage grillagée, je paie 150 cfa le pass. Il m'en coûterait 2500 en taxi.

 

Comme si prendre le bus pouvait me faire endosser quelques instants la vie de ceux qui triment chaque jour dans les transports de la capitale. Comme si, moi, je n'avais pas les moyens de prendre le taxi. Comme si c'était beau le spectacle d'une ville désorganisée, embouteillée, polluée, couverte de détritus, où l'on croise ceux qui bossent presque en esclave, qui réparent, tentent de vendre sans fin. Comme si je pouvais ressentir leurs conditions de vie. Comme si, moi je n'avais pas le choix, comme si je ne pouvais pas vivre ailleurs dans le calme, le luxe, l'organisation. Comme si les blancs devaient forcément prendre le taxi. A en croire les taximen, oui, pas un ne me croise sans me klaxonner.

 

Pourtant je me rassure et me dis j'ai ma place ici, dépenser 5000 cfa, soit 8 euros pour aller et revenir de la ville, c'est hors de prix, mais oui le taxi, c'est plus sûr, plus rapide, et on est bien assis. Alors quand j'aurai le temps, je prendrai le bus, comme lors de mon arrivée en 2001, quand je vivais à Sicap Baobab, et que je m'extasiais devant les paysages de la corniche.

Je me dis aussi, qu'on me regarde un peu, mais pas tant que cela. Et que j'aime vivre ici.

Oui, quand j'aurai le temps je prendrai le bus, car pour le prendre, il faut en avoir ou partir plus tôt, beaucoup plus tôt. Comme ceux qui se lèvent à 5 h chaque jour et viennent des lointaines banlieues, de Pikine, de Guédiawaye, de Yembeul, pour gagner quelques cfa et qui rentrent chez eux à 22.

 

Une heure et quart, à regarder le paysage, les scènes défiler et interpeller tous mes sens, mes pensées, comme tous ceux assis à mes côtés.

Car en 2014, dans ce bus, aucun n'est rivé sur son smartphone, les gens se regardent, se parlent, observent la rue, la circulation, bercés par la radio du bus et son mbalax ; Youssou N'dour, Omar Pene, Viviane nous accompagnent.

Dans les bus, pas de smartphone mais dans les taxis, les voitures, les villas oui ; chacun a le sien, et tchat - Facebook - Viber non stop, ça je le sais.

 

Dakar, sa circulation, son urbanité, terrible et tellement vivante, me happe, me laisse pleine d'interrogations sur la vie qui se déroule ici. On a tous vu des reportages sur les capitales africaines, on a lu des articles, des romans, je ne sais pas si décrire ce spectacle a un intérêt.

Alors, juste pour me souvenir de Dakar en 2014, pour que la suite de notre histoire ait un décor.

Il y a 13 ans, il y avait bien moins de 4x4, quelques voies rapides et peu de ronds-points, pas d'échangeur, ni de tunnel, pas d'autoroute pour la petite côte. Certaines routes ont été créées, réparées, Obama est venu.

Dakar, ses rues, comment les décrire... des dizaines de pages ne pourraient en venir à bout.

 

Un enchevêtrement, un flot de voitures, de 4x4 rutilants, de vieilles bagnoles rafistolées, de nuages de fumée, de taxi jaunes et noirs pas vraiment new-yorkais, de charrettes tirées par un cheval ou un âne, de camions petits et gros, avec ou sans chargement, plus ou moins débordant et bien arrimé. Mais aussi des moutons, des zébus, des biquettes, un petit chat tigré tout maigre qui s'enfuie, des chauffeurs de scooter qui tentent d'éviter de se faire éclabousser, des hommes à vélo. Et Gloria, pour sa promo, a mis sur des vélos elliptiques à deux roues des distributeurs d'échantillons. Des piétons qui attendent, qui s'insèrent dans ce flot. Des passagers qui montent et descendent des bus.

Chacun tente de garder sa place, de se la faire, jouant des coudes, des pare-chocs, et beaucoup du klaxon.

Des vendeurs ambulants sur la chaussée - mais un peu moins qu'il y a quelques années - des vendeurs de filets pour se laver, de « moussoirs », certains portant des panneaux de bois où leurs marchandises sont ficelées, d'autres avec 5 matelas pliés sur la tête, des vendeurs de recharges téléphoniques : Tigo ou Orange, d'habits pour enfants, de chaussures.

Des jeunes filles, sûrement des petites bonnes, avec des grands bols de thiep ou des seaux sur la tête, en pagnes et tee-shirts abîmés.

Des enfants. Beaucoup d'enfants, une fratrie de quatre filles avec leurs petits voiles colorés.

Des jeunes filles, des disquettes, en slim ou jupettes.

Des écoles coraniques, des dizaines d'enfants, étudiant tablettes en bois à la main, assis sur le trottoir. Plus tard, je les vois, qui en sortent, courant, criant et riant.

Une allée pavée, ornée de grands arbres et des dizaines de petits, peut être un centre de vacances, qui jouent et se poursuivent.

Des trottoirs défoncés, des pierres soulevées, des plaques d'égouts envolées.

Des maisons, des immeubles, des maisonnettes en bois ou en tôle où se vendent du bois, des baignoires, des frigos, du charbon, où on lave les autos, on répare et on fabrique.

Des affiches interdit d'uriner.

Des mots sur les murs de ciment, des noms de politiciens, des graff, et un vendeur de décorations murales en stuc qui les a collées là, mais qui n'est pas là.

Des panneaux « interdit de déposer de ordures » plantés dans des décharges.

Et sans prévenir, les innombrables terrains de foot improvisés, sur les ronds-points, les « jardins » : les espaces publics, et les vrais terrains avec but, où se jouent des matchs endiablés. Sur le sable mouillé presque rouge en ce moment, les maillots orange fluo s'agitent, les pieds nus bravent les déchets, des jambes d'hommes qui accélèrent, qui glissent, des joueurs qui s'agrippent et reprennent leur souffle, des cris, des négociations.

Dans ce tumulte, parfois sale et gris comme aujourd'hui avec la pluie, des femmes superbes, des reines, en boubou rose fuchsia, rouge sang, jaune poussin, avec leur bébé attaché dans des pagnes brodés sur leur dos, à la démarche assurée, ce port et cette classe africaine inégalables.

Des hommes qui le leur rendent bien, en costume, en version saï saï, hip-hop, ou Baye fall, en jeans noirs de graisse de voiture ou couverts de peinture, en boubou bleu turquoise, au téléphone, les yeux au loin ou dans les miens.

Homme ou femme, pour se protéger de la pluie, certains ont attaché un sachet plastique sur leur chevelure, leurs locks ou leurs tissages élaborés, ou ont juste posé une petite serviette sur leur tête, mais cela n'entache pas leur fière allure. Comme celui, en caleçon de bain hawaïyi bleu et blanc, perché sur le toit d'une maison où jonchait des pneus, des objets cassés ; qui observait de haut, la rue, debout, bras croisés.

Des immeubles flambant neufs aux parois de verre, des grands magasins, des villas d'Ong, des mosquées, des églises, des bâtiments en ruine et en construction.

Des travailleurs du bâtiment, par 5 à chaque niveau, du rdc jusqu'au dernier, qui montent à la pelle un tas de sable, comme une danse, un ballet.

J'ai vu tout cela et bien plus...

 

Et quand on descend du bus...

A Sandaga, le marché, ses rabatteurs à l'affût des toubabs, ses dédales, les millions de made in China, made in Turkey, transit à Dubay...

Mais quand l'on entre dans les quartiers, que l'on quitte les artères encombrées, ce sont presque des vies de village. Des rues sablées, des enfants qui jouent, des mamans installées sur leur mini banc avec leur bébé qui regardent leur quartier, des boutiques où s'agglutinent surtout les petits et beaucoup de bonnes, des garçons qui se testent à la lutte ou au foot, et taquinent les filles restées devant les maisons.

Sous les bougainvilliers, les jujubiers, les acacias, les palmiers, les cocotiers. Des maisons, où s'adossent les petites tables des vendeuses de légumes, de beignets, de fatayas; dont le rez de chaussée a parfois été transformé... en réparation informatique, en cybercafé, en atelier de couture, salon et cosmétique, en petits restos... Au bord de la rue, des dibiteries (qui vendent du mouton grillé cuit au feu de bois), des boucheries, un vendeur de produits locaux, des échoppes vertes en métal où l'on se fait préparer un sandwich à la viande, aux œufs, au thon.

Il y a une dizaine d'années, le quartier où je vis aujourd'hui, les Maristes se construisaient, il n'y avait personne dans les rues, pas de boutiques, pas d'enfants, ni d'école, des maisons qui me semblaient bien vides. Aujourd'hui, les arbres ont poussé et le quartier est animé.

 

Quand on descend des bus, on peut aussi entrer dans un centre commercial, comme le Radisson, comme un monde-ville commercial, il s'est étendu jusqu'ici, j'ai le même à la maison... Hugo Boss, Benetton, Etam, les bleus et Smalto...ils sont tous là.

Je l'ai traversé de nuit, étrange balade nocturne face à des vitrines à peine éclairées, aucun prix –ostentatoires – d'affichés - ils n'ont pas le culot - les escalators en pause, un gardien qui somnole, l'autre absorbé par un écran télé géant. De l'autre côté, un little buddah bar, une déco copie conforme de ses frères asiatico-occidentaux, un zen lounge aux mélodies africaines.

Je suis bien à Dakar.

Aujourd'hui, Dakar fut spectacle, vie, survie, énergie, elle m'aura encore une fois surprise et nourrit, donné envie. Et il n'y a pas qu'à moi qu'elle fait cela.

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